Primé dans le cadre du 38e festival cinématographique de Varsovie en octobre 2022, Ademoka’s education, 14e long-métrage du Kazakh Adilkhan Yerzhanov, a été projeté dans le cadre de la compétition des longs métrages de fiction du 18e festival international du film d’éducation d’Évreux.

Touchés par cette œuvre, l’équipe du festival et les CEMEA, par la voix de son président, Philippe Meirieu, ont décidé de le soutenir "afin de pouvoir le mettre à disposition dans le cadre de projections et de débats. En effet, ce film, tourné dans les conditions difficiles du confinement a su transformer, de manière remarquable, les contraintes en ressources et propose une réalisation originale et inventive. Remarquablement interprété et réalisé, il porte des valeurs essentielles : attention à chacun et à chacune dans son histoire singulière, portée émancipatrice de la culture et, surtout, droit à l’éducation de toutes et tous. Au moment où ce droit est encore très lointain dans beaucoup de pays du monde et où il est mis à mal dans notre pays par l’idéologie de l’égalité des chances, ce film nous est apparu comme un outil pédagogique aux qualités artistiques indéniables et mériter une large diffusion."

Ademoka’s education conte l’histoire d’Ademoka (Adema Yerzhanova), 15 ans, jeune gitane Tadjik, entrée illégalement au Kazakkstan où elle doit faire la manche pour survivre misérablement et nourrir sa famille. Quasi analphabète, Ademoka, qui s’exprime avec talent par le dessin, rêve d’étudier et d’intégrer une école qui lui permettra de se réaliser. Sa rencontre avec Achab (Daniyar Alshinov), un « loser » érudit et alcoolique, va changer sa vie. Devenu son mentor, elle entreprend avec lui une véritable odyssée ponctuée de rencontres qui lui permettront, peu à peu, de s’émanciper et de revendiquer son droit à l’éducation.

Traitée sur un mode surréaliste et burlesque - la silhouette massive de l’héroïne évoque celle de la comique suisse Zouc ou d’un personnage de bande-dessinée - cette fable philosophique fait l’éloge de la culture et du savoir incarné par le personnage d’Achab, Homère Kazakh intempérant, qui pioche dans la littérature ses leçons de vie. Sont alors convoqués Tchekov, Hermann Melville, Dante ou le grand poète Madzhan Zhunabayev qui révolutionna la langue Kazakhe, milita pour l’indépendance avant d’être assassiné par la police stalinienne en 1938.

Au cours de leur Odyssée, Ademoka et Achab, comme Ulysse ou le Don Quichotte de Cervantès, devront surmonter de nombreuses épreuves, affronter la mafia ou les représentants d’une administration kafkaienne. Excellant dans la composition magistrale de ses plans, qui rappellent parfois la poésie surréaliste de l’Espagnol Luis Bunuel ou du Palestinien Elia Suleiman, Adilkhan Yerzhanov livre des séquences réjouissantes telles l’étonnante scène du Check point improvisé (avec portique de détection) au milieu de nulle part, l’examen d’Ademoka sous la pluie devant une brochette d’enseignants alignés sous des parapluies, l’école des surdoués ou le pulvérisateur contre la Covid sur la route.

Ademoka est aussi une ode à la liberté et à l’entraide humaine. Alors que la jeune fille, « éduquée » par Achab, s’émancipe, abandonne sa famille qui l’exploite et revendique son droit à l’éducation (droit garanti par les traités internationaux qu’elle cite textuellement), son mentor désabusé retrouve goût à la vie et à l’envie de transmettre. Et tandis qu’Ademoka, à la fin du film, entre à l’université, Achab prend le chemin d’un petit village rural où il va à nouveau enseigner. S’adressant une dernière fois à Ademoka, il prononce, comme une invitation affectueuse à méditer tout ce qu’elle a vécu, la dernière réplique de l’Hamlet de Shakespeare : « Le reste n’est que silence ».

Né en août 1982 Adilkhan Yerzhanov est sorti diplômé de la Kazakhstan National Academy of Arts en 2009, avant de poursuivre sa formation à New York grâce à une bourse. Primé dès 1999 pour le scénario de la première série d’animation kazakh, son  troisième long métrage, The Owners (Ukkili kamshat), est présenté aux Festivals de Cannes et de Toronto en 2014. En 2018, son 5e film La tendre indifférence du monde est remarqué à Cannes. Cinéaste prolifique, il a tourné les neuf longs-métrages suivants en quatre ans.

Pierre Forni, membre du comité de sélection Longs métrages de fiction.

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