Dans l’un des films qui ont animé nos débats cette semaine, à un moment d’adversité et de désespoir, un adolescent dit à un autre : « Ce n’est pas nous, c’est la vie, ce n’est pas nous. » S’il fallait trouver un fil pour relier ensemble les onze films de la compétition, cette phrase pourrait en faire office.

Car dans toute cette sélecti­­on, la vie est à affronter, avec les armes et les larmes dont chacun dispose. Ici, bien souvent : les forces de la jeunesse et du désir de vivre, et ceci malgré ce que la vie nous fait.

Il s’agit, comme disait l’écrivaine Milena Jesenská, d’aimer la vie avec ardeur. Milena Jesenská dont je me permets ici de lire un passage, que certains connaissent peut-être : “Je crois fermement que le monde vient à notre secours. On ne sait ni quand, ni comment, ni par quoi. Il survient inopinément, simplement, avec compassion. Parfois, être sauvé est presque aussi douloureux que la douleur elle-même. Je connais un homme qui a les poumons malades. Il est grand, maigre, son visage est aigu, anguleux, méchant et incroyablement bon. Voici ce qu’il m’a dit de sa maladie : « Lorsque le cœur et le cerveau en ont eu assez de supporter la souffrance, ils se sont mis en quête de quelque chose qui puisse les sauver – et c’est alors que les poumons, se sont proposés. Je sais que ma maladie m’a sauvé. Mais cette transaction entre le cœur et les poumons, qui s’est faite à mon insu, a dû être terrible. » On dirait un conte de fées. Un conte de fées étrange, venu d’un autre monde, et pourtant, c’est la vérité de l’existence et de la souffrance. Ici, les poumons malades ont fait office de rédempteurs. Non, ne vous étonnez pas. Il ne faut pas s’étonner. Peut-être faut-il en pleurer. Il faut serrer sa tête dans ses mains et aimer la vie avec ardeur, avec tant d’ardeur que tout cet amour finira par l’attendrir et par racheter sa malédiction…. ”

Les films que nous avons aimés nous proposent d’aimer la vie avec ardeur, nous proposent d’attendrir la dureté du monde. Il s’agit de trouver la force de survivre par exemple à la fuite d’un pays en guerre. Il s’agit de savoir, comme le font les enfants, déboucher l’horizon par la seule force de la volonté, transformer le monde à l’envi, s’émerveiller de la plus petite des choses…

Le monde tel qu’on l’a traversé cette semaine est à la peine, c’est indéniable. Il faut donc une foi immense en l’humanité pour puiser la joie d’y vivre, et c’est la leçon des plus beaux de ces onze films, qui ont tous alimenté nos très riches débats.

Nous avons beaucoup parlé, beaucoup hésité, longuement voté et revoté.

Nous n’avons pas pu nous résoudre à remettre un seul prix. Ça ne nous suffisait pas. Nous avons donc décidé de remettre, avant le Grand Prix, une Mention Spéciale à un film qui ne nous a pas laissés intacts, qui nous fera encore réfléchir longuement à notre action, notre fraternité, notre hospitalité, et à nos luttes : Le Bon Grain et l’Ivraie de Manuela Frésil.

Le Grand Prix nous a cueillis à la dernière minute, par surprise, là où on ne l’attendait pas. Il faisait pourtant le pont avec le reste de la sélection : ici encore, le monde à affronter n’était pas accueillant, semblait sans douceur et chargé de violence. Ici encore, il fallait donc affronter la vie en lui opposant ce que nous avions de meilleur à lui offrir, cette chose que l’on n’ose prononcer que du bout des lèvres tant elle semble incongrue, tant on aime à prétendre qu’elle est mièvre pour éviter d’avouer qu’elle nous remue : l’amour. Aimer la vie avec ardeur, avec tant d’ardeur que tout cet amour finira par l’attendrir et par racheter sa malédiction.

Le Grand Prix est attribué à : La Communion, de Jan Komasa.

Au nom du jury dans son ensemble, Guillaume Massart

 

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